Budget 2025 : Modifications Fiscales Provocant la Controverse dans le Secteur du Capital-Investissement

Le projet de loi de finances 2025 suscite une vive polémique au sein de l’industrie du capital-investissement en France. Les nouvelles mesures fiscales envisagées par le gouvernement visent à augmenter les recettes de l’État, mais risquent de freiner l’attractivité du pays pour les investisseurs. Entre hausse de la fiscalité sur les plus-values et remise en question de certains avantages fiscaux, les acteurs du private equity s’inquiètent des répercussions sur leur activité et sur le financement des entreprises. Examinons en détail ces modifications controversées et leurs potentielles conséquences.

Les principales modifications fiscales prévues pour 2025

Le projet de budget 2025 prévoit plusieurs changements majeurs qui impacteront directement le secteur du capital-investissement :

  • Augmentation du taux d’imposition sur les plus-values de cession de 30% à 35%
  • Suppression du régime fiscal avantageux des carried interests
  • Plafonnement des déductions fiscales liées aux investissements dans les PME innovantes
  • Durcissement des conditions d’éligibilité au dispositif IR-PME

Ces mesures visent à générer des recettes supplémentaires pour l’État, estimées à plus de 2 milliards d’euros par an. Le gouvernement justifie ces changements par la nécessité de réduire le déficit public et de financer la transition écologique.

L’augmentation du taux d’imposition sur les plus-values de 30% à 35% constitue la mesure phare de cette réforme. Elle s’appliquera à toutes les cessions de participations réalisées par les fonds de private equity, quelle que soit la durée de détention. Cette hausse significative risque de réduire mécaniquement la rentabilité des opérations de capital-investissement.

La suppression du régime fiscal avantageux des carried interests est également très contestée. Jusqu’à présent, ce dispositif permettait aux gérants de fonds de bénéficier d’une fiscalité allégée sur leur part de plus-value. Sa disparition pourrait inciter certains professionnels à s’expatrier vers des places financières plus clémentes fiscalement.

Le plafonnement des déductions fiscales liées aux investissements dans les PME innovantes vise quant à lui à limiter le coût pour les finances publiques des dispositifs d’incitation fiscale. Mais il risque de tarir une source de financement cruciale pour les jeunes entreprises technologiques.

Réactions et inquiétudes du secteur du capital-investissement

Ces annonces ont provoqué un tollé au sein de l’industrie du private equity. Les principales associations professionnelles comme France Invest et l’AFIC ont vivement réagi, dénonçant des mesures « contre-productives » qui menacent l’attractivité de la France.

Selon elles, ces modifications fiscales risquent d’avoir plusieurs effets néfastes :

  • Une baisse des investissements dans les PME et start-ups françaises
  • Une fuite des talents et des capitaux vers d’autres pays européens
  • Un ralentissement de l’innovation et de la croissance économique

Les gérants de fonds s’inquiètent particulièrement de la suppression du régime des carried interests. Ce dispositif était considéré comme un élément clé pour attirer et retenir les meilleurs professionnels. Sa disparition pourrait pousser de nombreux talents à s’expatrier vers le Royaume-Uni ou le Luxembourg, où la fiscalité reste plus avantageuse.

Les investisseurs institutionnels comme les compagnies d’assurance et les caisses de retraite craignent quant à eux une baisse de la performance des fonds de private equity. La hausse de la fiscalité sur les plus-values risque en effet de réduire mécaniquement les rendements, rendant cette classe d’actifs moins attractive.

Du côté des entreprises financées, on redoute un assèchement des sources de financement. Les start-ups et PME innovantes pourraient avoir plus de difficultés à lever des fonds, freinant ainsi leur développement et leur capacité d’innovation.

La position des associations professionnelles

France Invest, principale association représentant le capital-investissement français, a publié un communiqué très critique envers le projet de budget. Elle estime que ces mesures vont « à l’encontre des objectifs affichés de soutien à l’innovation et à la compétitivité des entreprises françaises ».

L’association demande au gouvernement de revoir sa copie et propose plusieurs pistes alternatives :

  • Maintenir le régime fiscal des carried interests en l’encadrant davantage
  • Moduler la fiscalité sur les plus-values en fonction de la durée de détention
  • Renforcer les incitations fiscales pour les investissements de long terme

De son côté, l’AFIC (Association Française des Investisseurs pour la Croissance) met en garde contre les risques de délocalisation des équipes de gestion. Elle souligne que la France pourrait perdre son statut de place forte européenne du private equity au profit de pays voisins comme le Luxembourg.

Impact potentiel sur le financement des entreprises françaises

Au-delà du secteur du capital-investissement lui-même, ces modifications fiscales risquent d’avoir des répercussions importantes sur le financement des entreprises françaises, en particulier les PME et start-ups.

Le capital-investissement joue en effet un rôle crucial dans le financement de l’économie. En 2023, les fonds de private equity ont investi plus de 25 milliards d’euros dans près de 2 000 entreprises françaises. Ces investissements permettent de financer l’innovation, la croissance et la création d’emplois.

Or, si les conditions fiscales deviennent moins favorables, on peut craindre :

  • Une baisse des montants investis par les fonds de private equity
  • Une plus grande sélectivité dans le choix des entreprises financées
  • Un report des investissements vers d’autres pays européens

Les start-ups technologiques pourraient être particulièrement affectées. Elles dépendent fortement des financements en capital-risque pour se développer. Une raréfaction de ces financements risquerait de freiner l’émergence de futurs champions français du numérique.

Les PME industrielles en phase de transmission ou de développement pourraient également pâtir d’un moindre appétit des fonds de LBO (Leveraged Buy-Out). Ces opérations permettent souvent d’accompagner la croissance d’entreprises familiales et de préserver l’emploi local.

Le point de vue des entrepreneurs

Du côté des dirigeants d’entreprises, l’inquiétude est palpable. Frédéric Mazzella, fondateur de BlaBlaCar et co-président de France Digitale, a alerté sur les risques pour l’écosystème des start-ups : « Ces mesures vont assécher les sources de financement dont nous avons besoin pour innover et nous développer à l’international. C’est un très mauvais signal envoyé aux entrepreneurs. »

Même son de cloche du côté des PME industrielles. Philippe Darmayan, président de l’UIMM (Union des Industries et Métiers de la Métallurgie), craint que « la hausse de la fiscalité sur le capital-investissement ne vienne freiner les transmissions d’entreprises et les projets de développement de nos PME ».

Comparaison avec les régimes fiscaux d’autres pays européens

Pour bien comprendre l’enjeu de ces modifications fiscales, il est intéressant de comparer le futur régime français avec celui d’autres pays européens concurrents sur le marché du capital-investissement.

Au Royaume-Uni, malgré le Brexit, la fiscalité reste globalement plus favorable :

  • Taux d’imposition sur les plus-values de 20% (contre 35% prévu en France)
  • Maintien d’un régime fiscal avantageux pour les carried interests
  • Dispositifs d’incitation fiscale pour les investissements dans les PME innovantes

Le Luxembourg propose également un cadre fiscal attractif pour les fonds de private equity :

  • Exonération totale d’impôt sur les plus-values pour certains types de fonds
  • Régime fiscal très favorable pour les carried interests
  • Stabilité et prévisibilité de la réglementation fiscale

Aux Pays-Bas, le régime fiscal est plus proche de celui envisagé en France, mais reste globalement plus avantageux :

  • Taux d’imposition sur les plus-values de 25%
  • Maintien d’un régime fiscal spécifique pour les carried interests
  • Nombreux dispositifs d’incitation à l’investissement dans l’innovation

Cette comparaison met en lumière le risque de perte d’attractivité de la France pour les acteurs du capital-investissement. Si l’écart fiscal devient trop important, on pourrait assister à des délocalisations d’équipes de gestion vers ces pays voisins.

Le cas particulier de l’Allemagne

L’Allemagne présente un cas intéressant car elle a récemment revu sa fiscalité sur le capital-investissement dans un sens plus favorable. Le gouvernement allemand a en effet décidé de :

  • Maintenir un taux d’imposition sur les plus-values de 25%
  • Renforcer les incitations fiscales pour les investissements dans les start-ups
  • Simplifier le régime fiscal des carried interests

Ces mesures visent explicitement à renforcer l’attractivité de l’Allemagne comme place forte du capital-investissement en Europe. Elles contrastent fortement avec l’orientation prise par la France dans son projet de budget 2025.

Pistes de réflexion pour concilier rendement fiscal et attractivité

Face aux critiques suscitées par le projet de budget 2025, plusieurs pistes de réflexion émergent pour tenter de concilier les objectifs de rendement fiscal et d’attractivité économique.

Une première approche consisterait à moduler la fiscalité en fonction de la durée de détention des participations. On pourrait ainsi :

  • Appliquer le taux de 35% uniquement aux plus-values réalisées sur des investissements de court terme (moins de 2 ans)
  • Maintenir un taux de 30% pour les investissements de moyen terme (2 à 5 ans)
  • Proposer un taux réduit de 25% pour les investissements de long terme (plus de 5 ans)

Cette modulation encouragerait les investissements de long terme, plus favorables au développement durable des entreprises.

Une deuxième piste serait de cibler davantage les avantages fiscaux sur les secteurs jugés stratégiques. On pourrait par exemple :

  • Maintenir des incitations fortes pour les investissements dans la transition écologique
  • Renforcer les dispositifs en faveur des deeptech (intelligence artificielle, biotechnologies, etc.)
  • Créer un régime spécifique pour les investissements dans les PME industrielles

Cette approche permettrait de mieux orienter les capitaux vers les secteurs prioritaires pour l’économie française.

Enfin, on pourrait envisager de compenser la hausse de la fiscalité par des mesures de simplification administrative. Les acteurs du private equity se plaignent souvent de la complexité des démarches réglementaires en France. Alléger ces contraintes pourrait contribuer à préserver l’attractivité du pays malgré une fiscalité moins favorable.

Le rôle de Bpifrance

Dans ce contexte, le rôle de Bpifrance pourrait être renforcé. La banque publique d’investissement pourrait :

  • Augmenter ses investissements directs dans les fonds de private equity
  • Proposer des mécanismes de garantie pour certains investissements jugés risqués
  • Développer de nouveaux outils de co-investissement avec les acteurs privés

Ces initiatives permettraient de compenser en partie le risque de désengagement des investisseurs privés suite aux modifications fiscales.

Perspectives d’évolution du projet de budget

Au vu des réactions suscitées par le projet de budget 2025, il est probable que celui-ci connaisse encore des évolutions avant son adoption définitive.

Le gouvernement semble avoir pris conscience des risques pointés par les acteurs du capital-investissement. Le ministre de l’Économie a ainsi déclaré être « ouvert à la discussion » sur certains points du projet, tout en maintenant l’objectif global d’augmentation des recettes fiscales.

Plusieurs scénarios d’évolution sont envisageables :

  • Un assouplissement de la hausse du taux d’imposition sur les plus-values (par exemple à 33% au lieu de 35%)
  • Le maintien d’un régime fiscal spécifique pour les carried interests, mais avec un encadrement plus strict
  • L’introduction d’une modulation de la fiscalité en fonction de la durée de détention des participations
  • Le renforcement des dispositifs d’incitation fiscale ciblés sur certains secteurs prioritaires

Les débats parlementaires qui auront lieu à l’automne seront cruciaux pour déterminer les contours définitifs de cette réforme fiscale. Les lobbys du capital-investissement vont sans doute intensifier leurs efforts pour obtenir des aménagements.

L’enjeu européen

Au-delà du cadre national, la question de l’harmonisation fiscale européenne pourrait revenir sur le devant de la scène. Certains acteurs plaident pour une approche coordonnée au niveau de l’Union Européenne afin d’éviter une concurrence fiscale excessive entre pays membres.

L’idée d’un « passeport fiscal européen » pour les fonds de private equity, garantissant un traitement homogène dans tous les pays de l’UE, pourrait ainsi gagner du terrain. Cela permettrait de préserver l’attractivité globale de l’Europe face à d’autres places financières mondiales comme les États-Unis ou Singapour.

Un équilibre délicat entre fiscalité et compétitivité

Le projet de budget 2025 et ses modifications fiscales pour le secteur du capital-investissement illustrent la difficulté à trouver un équilibre entre les besoins de financement de l’État et le maintien d’un environnement économique attractif.

D’un côté, la nécessité de réduire le déficit public et de financer la transition écologique justifie une contribution accrue des acteurs financiers. De l’autre, le risque de voir fuir les investisseurs et les talents vers des pays fiscalement plus cléments ne peut être ignoré.

La solution passera probablement par un compromis entre ces différents impératifs. Cela pourrait se traduire par :

  • Une hausse modérée de la fiscalité, étalée dans le temps
  • Des dispositifs d’incitation ciblés sur les secteurs stratégiques
  • Un effort de simplification administrative pour compenser la hausse des prélèvements
  • Une approche coordonnée au niveau européen pour limiter les effets de concurrence fiscale

Quel que soit le scénario retenu, il est crucial que le cadre fiscal reste stable et prévisible sur le long terme. L’industrie du capital-investissement a besoin de visibilité pour continuer à jouer son rôle de financement de l’économie réelle.

En définitive, l’enjeu dépasse largement la simple question fiscale. C’est toute la place de la France dans l’économie mondiale de demain qui se joue à travers ces arbitrages. Trouver le bon équilibre entre rendement fiscal et attractivité économique sera déterminant pour préserver le dynamisme de l’écosystème entrepreneurial français et sa capacité d’innovation.